Pendant que je fabrique mes outils avec les végétaux qui m’entourent, un caoutchouc, qui fait partie de ma vie depuis 24 ans, laisse tomber des feuilles qui restent souples longtemps grâce au latex qu’elles contiennent. Alors que je tente d’en faire une sorte de plume en pliant une de ses feuilles et en la cousant, je suis éblouie par l’allure de “pochette à secrets” qu’elle prend soudain ; c’est ainsi que me vient l’idée de glisser un poème dans cet écrin végétal. “Toutes mes nuits sur Terre” se retrouvent ainsi peu à peu enfermées dans des feuilles plus tout à fait “mortes”. Assez vite, l’envie me prend de faire l’expérience avec d’autres feuilles ramassées dehors ; je me rends compte que certaines feuilles vieillissent mieux que d’autres ; je les couds d’abord à la machine et pour cela ai besoin qu’elles soient solides, puis pour plus de souplesse dans le travail, je passe à la couture à la main.
De nature curieuse, j’essaie de voir le positif et le beau dans ce qui n’est pas évident : une feuille morte, par exemple, est souvent considérée comme un déchet, pour lequel l’humain a même inventé un outil de nettoyage ; à mes yeux il n’y a pas d’objet plus incongru que le souffleur de feuilles ! Je vais ramasser ces feuilles et tâcher d’en révéler la beauté inattendue ; j’aime porter ma recherche dans des endroits où cela n’est pas évident, à la façon dont on allumerait une lumière dans un couloir sombre.




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Toujours est-il que de tous temps et dans de nombreuses cultures, l’être humain s’est confié aux arbres, lui a raconté des histoires et a partagé avec eux ses sentiments.
De la même façon, Rosa Najdovski récolte des feuilles dans lesquelles elle coud des poèmes. Des poèmes qui s’y cachent, qui dépassent et qui les imprègnent. Dans la continuité de son travail artistique, la nature devient tant sujet, qu’outil et matière même de sa démarche. Car, si dans un poème, le mot est une forme qui nourrit le lyrisme, de la même façon, le feuillème tire de la feuille une grande part de sa poésie.
Et ces feuilles réagissent au mot, au papier, au fil et au temps, s’enroulent, s’étirent, se cambrent, débordent, tantôt dévoilent ou dissimulent un mot, tantôt une couture, selon une logique qui leur est propre, qui nous échappe et qui, si on y est attentif, nous émeut sans qu’on comprenne très bien pourquoi.
Et c’est justement parce que les feuilles ont leur propre vie que Rosa accepte et même cultive l’accident dans son processus créatif. Rien n’est figé et tout évolue bien au delà de la fin du processus créatif.
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Photographies Stéphane Bazzo, Texte Mathieu Pereira













